
Mais d’Éthiopie participe bien des empires noirs. D’ailleurs, le nom même d’Éthiopie désignait en grec (Aithiopia, de aithiops : « visage brûlé ») l’ensemble des peuples noirs.
Au-dessus des savanes brûlantes du pourtour de l’Éthiopie, à peine habitables, s’élève une forteresse de hauts plateaux verdoyants au climat tempéré, dominés par des pics de plus de quatre mille mètres. Dans ce pays volcanique profondément bouleversé, les fleuves, en particulier le Nil (qui y trouve ses plus importantes sources), creusent de véritables cañons. L’Éthiopie est le pays des luttes constantes des populations riches des hauts plateaux contre les tribus déshéritées des basses régions d’alentour, avides de s’emparer de ce paradis.
La « Terre de Dieu »

Foyer de richesses multiples, désignée sous le nom de pays du Pount –« Terre de Dieu »- par les Egyptiens, on comprend qu’elle ait attisé tous les désirs. La reine Hatshepsout (1520-1484 avant J.-C.) lance la première ses vaisseaux vers le sud de la mer Rouge pour ramener en Égypte les produits de la Terre de Dieu, comme en témoignent les bas-reliefs du temple de Deir el-Bahari, à Thèbes. Ces derniers ne fondent cependant pas toute notre connaissance sur l’Ethiopie antique. L’art et la langue de nombreux vestiges rattachent l’Éthiopie antique aux royaumes des Sabéens, des Minéens et des Homérites d’Arabie méridionale dont l’histoire paraît commencer mille ans avant notre ère et finir avec la naissance de l’islam. On retrouve, en Arabie méridionale ancienne et en Éthiopie antique, des tribus et des lieux aux appellations identiques, ainsi que les mêmes divinités. On ne peut encore qu’imaginer un brassage arabo-éthiopien des populations les plus diverses de la préhistoire et de l’Antiquité, et seuls les vestiges de monuments découverts dans le Nord de l’Éthiopie nous permettent de croire que la civilisation de ce pays est née de la plus tardive vague de colonisation sud-arabe en Afrique, au VIe siècle avant J.-C.
De son côté, la tradition nationale éthiopienne confirme son origine sabéenne : Ménélik Ier, fondateur de l’empire d’Axoum, serait le fils de la reine de Saba et de Salomon qui vivaient au Xe siècle avant J.-C.. La colonisation sud-arabe du VIe siècle avant J.-C. serait donc venue, avec ses agriculteurs et ses commerçants, ses navigateurs et ses guerriers, rejoindre et réveiller des tribus plus anciennes mais de même origine.
L’empire d’Axoum
C’est avec l’arrivée des Grecs et, plus précisément, des flottes de Ptolémée qui apporteront les modes, les marchandises ainsi que la langue helléniques (IIIe siècle avant J.-C.), que la nation éthiopienne manifeste son unité. Le grand empire d’Axoum naît, réunissant d’immenses territoires, du Soudan au Yémen et du sud de l’Éthiopie actuelle aux confins de l’Égypte. Tandis qu’Axoum impose par la force à une large partie de l’Est africain sa suprématie et son unité politique et commerciale, la religion axoumite se modifie profondément, préfigurant la modification radicale qu’apportera la christianisation de l’Éthiopie. Les colons sabéens avaient, en effet, implanté dans les plateaux du Tigré, au nord du massif éthiopien, les mêmes dieux foisonnants que ceux qu’ils honoraient en Arabie. Or, chez les Axoumites, ces figures divines multiples vont rapidement se faire moins nombreuses : on vénère alors une triade composée de Ashtar (Vénus), Béher (la Mer) et Méder (la Terre) et les empereurs prennent pour dieu tutélaire Mahrem, maître de la guerre.
Empire païen très étendu et puissant, telle est l’Éthiopie au IVe siècle après J.-C. quand l’empereur Ezana, le négus, « roi des rois », accède au trône qu’il occupera entre 325 et 350 . Avec lui, l’empire d’Axoum va devenir chrétien et donner naissance à l’une des plus originales civilisations de l’histoire.
La naissance du christianisme en Éthiopie est assez mal connu. Les sources byzantines racontent qu’un marchand grec, de religion chrétienne, partit pour les Indes avec ses fils, Frumentios et Aedesios. Leur navire ayant fait naufrage sur la côte d’Éthiopie, tous les hommes du bord seront capturés et la plupart massacrés. Les deux jeunes gens, échappant à la furie des barbares, seront reçus par le roi qui, impressionné par leur culture, leur confiera l’éducation de son fils Ezana. Leur influence va s’étendre peu à peu et Frumentios convertira la famille royale à la nouvelle religion. De retour à Alexandrie, le missionnaire occasionnel se verra confié très officiellement la charge d’évêque d’Axoum par saint Athanase. Dès lors, l’église d’Ethiopie restera étroitement liée à la cité grecque… qu’elle suivra d’ailleurs dans le monophysisme (qui rejette la double nature du Christ au profit de la seule nature divine).
La légende du Prêtre Jean

Au début du VIe siècle, Axoum conserve encore d’étroites relations avec l’empire d’Orient, mais également avec l’Iran, Ceylan, les Indes… Le commerce est prospère -émeraudes du Nil, encens et épices de la côte des Aromates, or : les Grecs, les Syriens, les Persans, les Arméniens, les Indiens affluent, les églises et les palais se multiplient.
Pourtant, c’est une époque troublée : si les communautés chrétiennes, coptes ou encore ariennes, ne cessent de se développer, un judaïsme ardent, adversaire farouche de la religion chrétienne, se propage depuis le nord dans tout le territoire sabéen. Ce sera le prétexte tout trouver pour que Caleb (525-575), qui comme tous les souverains éthiopiens depuis le IVe siècle se considérait comme le protecteur attitré des populations chrétiennes de l’Arabie méridionale, lance ses armées. Portées par une flotte considérable, les armées de Caleb s’emparent du Yémen.
Une conquête qui ne sera que de courte durée. Cinquante ans à peine après l’exploit de Caleb, les Perses s’emparent du Yémen et ravagent les côtes éthiopiennes. Cet événement marque le début du déclin du royaume d’Axoum. Un déclin que les conquêtes arabes du VIIe siècle vont accélérer en coupant définitivement l’empire éthiopien du monde méditerranéen.
Pourtant, les premières relations entre l’islam et le royaume d’Axoum avaient éclos sous de bons augures. En 615, certains compagnons de Mahomet y avaient même trouvé refuge et, de retour à La Mecque, n’avaient pas tari d’éloge sur l’accueil reçu. Vers 630, les relations se gâtent, notamment lorsque les Axoumites perdent leur suprématie maritime en mer Rouge au profit de l’islam. Leur déclin est dès lors très lent, insidieux et personne ne semble le voir. Alors que les premiers signes s’en manifestent déjà, l’Éthiopie est encore citée parmi les quatre grands empires de l’univers.
La renommée de l’empire d’Axoum, écrit Maxime Cleret, reste présente aux esprits tant en Éthiopie même qu’en Égypte ou chez les Arabes. Ni les uns ni les autres ne croient encore à sa ruine : on cultive les prophéties apocryphes selon lesquelles, un jour, l’indomptable Éthiopie fera sa jonction contre La Mecque avec un souverain d’Occident. De là, naîtra plus tard, dans le monde latin, la légende du Prêtre Jean.
Pourtant, dès ce moment-là, pour l’Europe, l’Éthiopie et les Éthiopiens tombent dans l’oubli. Ils y resteront durant près de mille ans…
